Marcel Bigeard, l’une des figures les plus emblématiques de l’histoire militaire française, a marqué le XXe siècle par son courage, son génie tactique et ses méthodes audacieuses. Surnommé « Bruno » (son nom de code dans la Résistance) ou encore le « seigneur de la guerre », Bigeard a forgé sa légende à travers les conflits majeurs de son époque : la Seconde Guerre mondiale, la guerre d’Indochine et la guerre d’Algérie. Nous allons retracer son parcours, enrichi d’anecdotes et de faits d’armes qui illustrent son rôle dans ces conflits.
Jeunesse et formation
Né le 14 février 1916 à Toul, en Meurthe-et-Moselle, Marcel Bigeard grandit dans une famille modeste. Son père, employé de banque, et sa mère, couturière, lui inculquent des valeurs de travail et de discipline. Jeune homme énergique, Bigeard excelle dans les sports, notamment la course à pied, ce qui forge son endurance physique, un atout qu’il exploitera plus tard sur les champs de bataille. Après des études secondaires, il entre à la Société Générale comme employé de banque à l’âge de 20 ans, un métier qu’il trouve monotone mais qui lui enseigne la rigueur.
Anecdote : Adolescent, Bigeard passait ses étés à aider des agriculteurs locaux, développant un amour pour la vie au grand air. Il racontait souvent qu’il préférait « courir dans les champs plutôt que de rester enfermé dans un bureau », une énergie qu’il canalisa dans sa carrière militaire.
Seconde Guerre mondiale (1939-1945)
Mobilisation et captivité
En 1939, à l’aube de la Seconde Guerre mondiale, Bigeard est mobilisé comme sergent dans le 79e régiment d’infanterie de forteresse, stationné sur la ligne Maginot. Lors de la débâcle de 1940, il est capturé par les Allemands près de Nancy. Détenu dans un stalag en Allemagne, il refuse de se résigner. En 1941, après plusieurs tentatives infructueuses, il parvient à s’évader en traversant l’Europe à pied, rejoignant la zone libre en France après un périple de plusieurs semaines.
Anecdote : Lors de son évasion, Bigeard se cacha dans des granges et vola des légumes dans les champs pour survivre. Il raconta plus tard qu’il avait appris à « écouter la nuit » pour éviter les patrouilles allemandes, une compétence qui servira dans ses missions de renseignement.
Résistance et parachutistes
En 1942, Bigeard rejoint les Forces françaises libres du général de Gaulle. Formé comme parachutiste au sein des Special Air Service (SAS) britanniques, il adopte le nom de code « Bruno ». En 1944, il est parachuté en Ariège, dans le sud de la France, pour organiser des réseaux de Résistance. À la tête d’un petit groupe, il mène des opérations de sabotage contre les infrastructures allemandes, comme des ponts et des voies ferrées, tout en coordonnant des embuscades contre les convois ennemis.
Fait d’armes : En août 1944, Bigeard et ses hommes tendent une embuscade à un convoi allemand près de Foix. Avec seulement une poignée de résistants, ils neutralisent un camion de ravitaillement et capturent des armes, renforçant les capacités de la Résistance locale. Cette action, bien que modeste, illustre son audace et sa capacité à improviser sous pression.
Son passage dans la Résistance forge son style de commandement : direct, charismatique et axé sur l’initiative. Il gagne alors le respect de ses hommes, qui le décrivent comme un chef « toujours en première ligne ».
Guerre d’Indochine (1946-1954)
Arrivée et innovations tactiques
Après la guerre, Bigeard est envoyé en Indochine pour contrer l’insurrection du Viet Minh. Promu capitaine, il prend le commandement du 6e bataillon de parachutistes coloniaux en 1952. Là, il développe des tactiques de contre-guérilla révolutionnaires, adaptées au terrain difficile de la jungle. Ses unités, surnommées les « tigres », opèrent en petites équipes mobiles, utilisant la rapidité et la surprise pour déstabiliser l’ennemi.
Fait d’armes : En 1952, lors de l’opération dans la région de Tu Lê, Bigeard et son bataillon sont parachutés pour bloquer une offensive Viet Minh. Malgré des conditions extrêmes – pluie torrentielle et terrain boueux – ils tiennent leurs positions pendant plusieurs jours, infligeant de lourdes pertes à l’ennemi. Cette opération consolide sa réputation de stratège hors pair.
Anecdote : Bigeard insistait pour que ses hommes portent des bérets rouges, même en opération, pour renforcer leur esprit de corps. Il racontait que ce béret, « taché de sueur et de sang », était un symbole de fierté pour ses parachutistes, surnommés les « crevettes » en référence à leur agilité.
Diên Biên Phu
En 1954, Bigeard participe à la bataille de Diên Biên Phu, l’un des moments les plus dramatiques de la guerre d’Indochine. Commandant le 6e BPC, il défend le point d’appui « Éliane ». Malgré un courage exceptionnel, son unité est submergée par les forces Viet Minh. Capturé après la chute du camp retranché, Bigeard endure quatre mois de captivité dans des conditions inhumaines, marchant des centaines de kilomètres vers un camp de prisonniers.
Fait d’armes : Lors des combats à Diên Biên Phu, Bigeard organise une contre-attaque désespérée pour reprendre une position clé, « Éliane 2 », sous un feu nourri. Bien que l’opération échoue face à l’écrasante supériorité numérique ennemie, son leadership galvanise ses hommes, qui le suivent sans hésiter.
Anecdote : Pendant sa captivité, Bigeard refuse de céder au désespoir. Il organise des discussions avec ses compagnons prisonniers pour maintenir leur moral, leur racontant des histoires de sa jeunesse à Toul. Cette résilience impressionne même ses geôliers.
Guerre d’Algérie (1954-1962)
Bataille d’Alger
La guerre d’Algérie marque l’apogée de la carrière de Bigeard. En 1956, il prend le commandement du 3e régiment de parachutistes coloniaux (3e RPC) et joue un rôle central dans la bataille d’Alger (1957). Chargé de démanteler les réseaux du FLN dans la capitale, il met en place une stratégie de renseignement et d’opérations ciblées. Ses hommes quadrillent la Casbah, utilisant des fichiers pour identifier les suspects et des interrogatoires musclés pour obtenir des informations.
Fait d’armes : En janvier 1957, Bigeard orchestre l’arrestation de Larbi Ben M’Hidi, un leader clé du FLN. Grâce à un réseau de renseignement minutieux, son unité localise Ben M’Hidi dans une planque à Alger, un coup dur pour l’organisation indépendantiste. Cette opération contribue à désorganiser le FLN dans la ville.
Anecdote : Bigeard était connu pour son style direct avec ses hommes. Lors d’une réunion à Alger, il aurait lancé à ses officiers : « Si vous voulez gagner, il faut penser comme l’ennemi, vivre comme l’ennemi, et frapper plus fort que lui. » Cette phrase résume sa philosophie de contre-insurrection.
Opérations dans le djebel
Après la bataille d’Alger, Bigeard mène des opérations dans les Aurès et le djebel, où ses parachutistes traquent les maquisards du FLN. Ses tactiques, basées sur la mobilité et l’emploi d’hélicoptères, permettent de nombreuses victoires tactiques, bien que la guerre reste politiquement complexe.
Fait d’armes : En 1958, lors de l’opération « Jumelles » dans la région de Kabylie, Bigeard et son régiment détruisent plusieurs katibas (unités) du FLN, capturant des caches d’armes importantes. Son usage innovant des héliportages pour surprendre l’ennemi devient une référence pour les opérations aéroportées.
Anecdote : Bigeard avait l’habitude de mener ses hommes au combat en courant, même sous le feu ennemi. Un de ses subalternes raconta qu’il criait : « En avant, les gars, on n’attend pas la mort, on va la chercher ! », galvanisant ses troupes dans les moments critiques.
Controverses
Les méthodes de Bigeard en Algérie, notamment l’usage de la torture et des exécutions sommaires, suscitent des controverses. La « crevette Bigeard », une technique d’interrogatoire impliquant des sévices, entache son image. Bien qu’il ait toujours nié avoir personnellement ordonné de telles pratiques, il défendait leur nécessité dans le contexte de la guerre. Ces aspects de sa carrière continuent de diviser historiens et opinion publique.
Carrière politique et retraite
Promu général en 1971, Bigeard quitte l’armée en 1976 pour entamer une carrière politique. Il est nommé secrétaire d’État à la Défense sous Valéry Giscard d’Estaing (1975-1976) et devient député de Meurthe-et-Moselle de 1978 à 1988. Auteur de plusieurs livres, dont Pour une parcelle de gloire et Ma guerre d’Algérie, il partage ses mémoires et ses réflexions sur la guerre moderne.
Anecdote : Lors d’une séance à l’Assemblée nationale, Bigeard, peu habitué aux joutes verbales des politiciens, aurait interrompu un débat en lançant : « Messieurs, arrêtez de parler, agissez ! », provoquant rires et applaudissements.
Vie personnelle
En 1942, Bigeard épouse Gaby Grandemange, une femme qu’il décrit comme son « roc ». Ils ont une fille, Marie-France, née en 1945. Fidèle à sa ville natale, Toul, il y retourne régulièrement, même au sommet de sa carrière. Passionné de sport jusqu’à la fin de sa vie, il court quotidiennement et conserve une discipline de fer.
Mort et héritage
Marcel Bigeard s’éteint le 18 juin 2010 à Toul, à l’âge de 94 ans. Ses cendres sont transférées en 2012 au mémorial des guerres en Indochine à Fréjus, une décision controversée en raison de son passé en Algérie. Admiré pour son charisme et ses innovations tactiques, il reste une figure clivante, incarnation des gloires et des zones d’ombre de l’histoire militaire française.
Anecdote finale : Lors de ses obsèques, des anciens parachutistes ont chanté La Prière du para, un chant qu’il affectionnait. L’un d’eux a déclaré : « Bruno n’est pas mort, il est juste parti en mission ailleurs. »
Marcel Bigeard est une légende militaire dont le parcours illustre les complexités des conflits coloniaux et des guerres modernes. Ses faits d’armes, de la Résistance à Diên Biên Phu et Alger, témoignent d’un courage et d’une audace exceptionnels. Bigeard reste, pour beaucoup, le symbole d’un chef qui vivait pour ses hommes et pour la France.
Merci pour tout général,
Eden.